Dans le cadre de la simplification des normes ESRS, l’ANC (Autorité des Normes Comptable) a organisé une session d’échange le 12 septembre dernier entre les parties prenantes françaises et l’EFRAG sur les propositions d’évolution des normes de durabilité.
L’objectif était de mieux comprendre les enjeux et changements en cours, et faire entendre la voix des parties prenantes françaises auprès de l’EFRAG.
Il y avait des invités présents dans les locaux du Ministère de l’Économie et des Finances à Paris, notamment des représentants d’entreprises et de responsables de l’audit, ainsi qu’environ 80 participants connectés à distance. Patrick de Cambourg, président du conseil de reporting de durabilité de l’EFRAG (EFRAG SRB), était également présent sur place.
La session a commencé par une introduction de Patrick de Cambourg, qui a expliqué, entre autres, que la proposition de simplification des ESRS était une combinaison de deux priorités politiques : (1) réduire la charge administrative et (2) garantir un reporting en matière de durabilité de qualité.
6 leviers de simplification
Six leviers de simplification ont été mis en œuvre par l’EFRAG :
- Simplification de l’analyse de la double matérialité– notamment du processus d’évaluation et de la documentation à des fins d’audit.
- Lisibilité / concision accrues des états de durabilité – flexibilité améliorée dans l’organisation de l’information, notamment avec possibilité d’ajouter un résumé exécutif et d’utiliser des annexes, et mise en avant de la manière dont l’entreprise gère ses enjeux de durabilité et de l’interconnexion des informations publiées (relations Enjeux-IRO-Politiques-Actions-Cibles-Métriques).
- Relation entre exigences générales de publication (ex-MDR devenus GDR) et normes thématiques – suppression de la plupart des exigences narratives détaillées dans les normes thématiques au profit des exigences générales en matière de politiques, actions, cibles et métriques (GDR), y compris pour la norme G1.
- Compréhension, clarté et accessibilité des normes ESRS – texte raccourci, publications volontaires éliminées, langage clarifié, plusieurs concepts simplifiés et plusieurs points de données déplacés dans un document d’orientations non contraignantes (NMIG) séparé destiné à servir de guide à titre de référence uniquement.
- Allègements transversaux de réduction de la charge – de nouvelles flexibilités et allègements ont été introduits, notamment celui de ne pas devoir engager de coûts ou d’efforts excessifs.
- Interopérabilité renforcée avec les normes mondiales de reporting – et notamment avec les normes de l’ISSB, IFRS S1 & S2.
Patrick de Cambourg a précisé que le nombre de points de données en soi était important mais ne devait pas être une obsession car il dépend du contexte et de la manière dont ils sont comptés (publier des données comparatives, par exemple, double automatiquement le nombre).
La méthode de réduction des points de données appliquée par l’EFRAG a consisté en :
- La suppression des points de données les moins pertinents, définis comme ceux non nécessaires pour atteindre les objectifs de l’exigence de publication (la DR) ;
- Une approche moins prescriptive (contraignante), ou fondée sur des règles, et une approche davantage fondée sur des principes (cf normes fondées sur des règles, comme les GAAP aux États-Unis, vs normes fondées sur les principes) ;
- La suppression d’exigences narratives concernant les politiques, actions et cibles (PAC) dans les normes thématiques, au profit des exigences générales en matière de politiques, actions, cibles et métriques (GDR), y compris pour la norme G1.
Il a précisé que fusionner deux points de données n’a pas été compté comme une réduction.
Certains points de données sont également passés de volontaires à obligatoires :
- Eau – prélèvement totaux dans les propres opérations (E3)
- Rejets totaux des propres opérations (E3)
- Synthèse du plan de transition en matière de biodiversité, mais seulement si un plan a déjà été rendu publique (E4)
- Formation de l’équipe achat à la conduite des affaires (G1)
- Incidents confirmés liés à la conduite des affaires (nombres et nature) (G1)
Et quatre ont été ajoutés :
- Déclaration de conformité avec ESRS 1 (ESRS 2 BP 1)
- Microplastiques secondaires (clarification) (E2)
- % ou poids des matériaux considérés comme critiques et stratégiques (E5)
- % ou poids des déchets dont la destination est inconnue (E5)
Ainsi, le résultat de ces travaux est une réduction de 68% du nombre total de points de données, ce qui comprend une réduction de 100% des points de données volontaires et de 57% des points de données obligatoires.
Les échanges qui suivaient cette introduction ont été d’une grande qualité et nous avons été impressionnés d’entendre combien ces regroupements et grandes entreprises françaises connaissaient les normes ESRS, ont eu des discussions détaillées avec leurs auditeurs, et avaient étudiés les implications des simplifications proposées en détail.
En les écoutant, nous avons compris que l’écart est entrain de se creuser entre ces entreprises de la première vague (dans les pays qui ont bien transposés la CSRD dans les temps et de manière conforme), et les entreprises de la deuxième vague et celles qui seront soumises sur la base du volontariat, sur ces enjeux hautement stratégiques pour l’Europe et pour ses entreprises.
Attendre et ne pas se préparer ne sera pas bon pour les affaires ! Lorsque les entreprises de la 2ème vague entre sur scène, ces entreprises de la 1ère vague publieront leurs 4ème rapport.
Au global, les invités ont salué les simplifications proposées et le travail réalisé par l’EFRAG dans des délais très contraignants.
Voici une récapitulatif de quelques-unes des remarques et discussions qui ont suivi.
Sur l’analyse de la double matérialité (DMA)
Évaluation brute vs nette
Les débats se sont concentrés sur le sujet évaluation brute vs nette. L’avis général était pour une prise en compte des IRO (impacts, risques, opportunités en matière de durabilité) brute, sauf pour les impacts réels ou les mesures mises en place devraient pouvoir être prises en compte.
En revanche, le tableau en annexe C ESRS 1 pourrait être trop détaillé et créer de la confusion. L’EFRAG a voulu être précis car c’est un sujet difficile qui a créé beaucoup de débats.
Patrick de Cambourg a précisé qu’il fallait garder de la dynamique dans le traitement des impacts, qu’il est important de rendre compte de la manière dont l’entreprise a pris en compte les impacts, et que c’est valorisant pour l’entreprise.
Une grande entreprise a ajouté qu’il est important de ne pas avoir à prendre en compte tout ce qui pourrait se passer en absolu, mais se concentrer sur ce qui est pertinent pour l’entreprise. (Sur ce point j’ajoute que c’est pour cette même raison que les effets financiers futurs ont été renommés « anticipated » / attendus au lieu de « potential » déjà dans les ESRS actuelles.)
Périodicité de la DMA
Il a été demandé de mieux préciser la périodicité requise en matière de DMA.
Patrick de Cambourg a précisé qu’une DMA de fond devrait sans doute avoir lieu tous les 3-5 ans, et qu’entre temps il fallait faire des mises à jour pour prendre en compte des circonstances changeantes éventuelles.
Impacts positifs
Un représentant a posé une question sur la restitution de la gestion des impacts négatifs, notamment lorsque les mesures mises en place créent de la valeur positive additionnelle au-delà de la simple mesure corrective.
Patrick de Cambourg a expliqué que lorsque les normes ont été développées le point d’attention première était de focaliser sur la gestion de la destruction de valeur en premier lieu, mais qu’il faudrait sans doute aussi pouvoir focaliser sur la création de valeur.
On peut passer au-delà de la gestion du négatif à la création de valeur additionnelle positive, surtout dans le social. Un état de durabilité ne doit pas être punitif, on doit aussi parler du positif s’il y a lieu.
Sur la structure et la clarté des normes proposées
Incorporation par référence
Il y a eu beaucoup de réticences au sujet de l’incorporation par référence, utilisée surtout pour les aspects stratégie et gouvernance, qui peut brouiller la vue d’ensemble et compromettre la lisibilité du rapport.
Patrick de Cambourg a précisé qu’en France ce n’est pas beaucoup utilisé mais que l’Europe du Nord est très favorable à cela.
L’EFRAG a raisonné comme pour les états financiers ou il y a peu d’incorporation par référence. Le président de l’ANC a également précisé qu’ils doivent suffire et « forment un tout ».
Connectivité entre état de durabilité et état financier
« Trop compliqué, on n’est pas murs, on nous a beaucoup dit cela. Donc, on a réduit la connectivité entre l’état de durabilité et l’état financier. »
Mais Patrick de Cambourg a aussi insisté sur le fait qu’il ne faut pas troubler la frontière entre les deux, et mettre des informations de durabilité dans l’état financier. C’est l’un des objectifs de la CSRD.
NMIG – Non Mandatory Implementation Guidance (orientation de mise en œuvre non contraignantes)
De nombreux points de données détaillés, notamment narratifs, ont été déplacés de la norme elle-même vers un document dit « NMIG », avec des orientations non contraignantes.
L’EFRAG va proposer que ce document ne fasse pas partie de l’acte délégué des ESRS, ce qui permettrait de le faire vivre et le mettre à jour au fur et à mesure des expériences acquises.
Sur ce point, les entreprises ont exprimé des inquiétudes en précisant qu’un guide d’orientations devient assez vite quasi-obligatoire dans la discussion avec les auditeurs, surtout lorsqu’il est publié par l’EFRAG.
Est-ce qu’elles n’auront pas de facto un caractère obligatoire ? Des ambigüités emmènent de longues discussions avec les auditeurs et des traitements différents entre les entreprises, ce qui nuit à la comparabilité. Un représentant proposait carrément de supprimer le document NMIG.
Patrick de Cambourg a précisé qu’il faut respecter la hiérarchie des normes, si ce n’est pas dans l’acte, ce n’est pas obligatoire.
Mais dans un domaine aussi complexe et pionnier que le reporting de durabilité il faut des orientations, de la guidance. Les questions seront posées. L’interprétation ne doit pas être confiée aux auditeurs. Ne pas avoir de la guidance c’est repousser l’interprétation dans le flou alors que l’on essaie d’homogénéiser et de normaliser. Le vide n’est pas forcément au service des entreprises.
Sur les ESRS en tant que « fair presentation » framework (référentiel reposant sur le principe de présentation fidèle)
L’approche moins prescriptive, moins contraignantes, des normes ESRS laisse plus de flexibilité aux entreprises, mais repose que l’exercice du jugement, qui est à la base du devoir de fournir une présentation fidèle des informations en matière de durabilité.
Cela accroit de facto la responsabilité des entreprises, et par ricochet de leurs auditeurs. Des représentants ont exprimé leurs inquiétudes et dit que les entreprises ne sont pas rassurées.
Patrick de Cambourg a précisé que la responsabilité du jugement incombe déjà dans ESRS Set 1 et dans la CSRD. Faire prévaloir le bon sens implique obligatoirement un jugement.
La présentation fidèle est induite de la CSRD (notamment des caractéristiques qualitatives). En matière de reporting, il n’y a que deux types de cadres : conformité ou présentation fidèle – l’EFRAG a rendu explicite quelque chose qui était déjà implicite.
Un représentant a suggéré qu’il faudrait peut-être faire évoluer le principe de présentation fidèle pour mieux intégrer ce nouveau domaine d’application non-financière.
Sur les allègements
Sans coûts ou efforts excessifs
Comment comprendre et appliquer cet allègement transversal pour que nous ayons tous la même interprétation ? Et, qu’est ce qui prévaut entre les allègements et la « présentation fidèle » ?
Des représentants ont aussi souligné qu’il y a beaucoup d’utilisation du terme « significatif » dans les normes, ce qui mérite d’être clarifié pour éviter des discussions interminables avec les auditeurs.
Patrick de Cambourg a répondu que la maturité des informations financières a mis des décennies à se développer et que ce n’est pas encre le cas pour les informations de durabilité.
Il faudra juger sur pièce l’application de ces possibilités d’allègement, le but n’est pas que les entreprises s’exonèrent. Et il faudra sans doute mieux présenter le lien entre les allègements et la notion de présentation fidèle.
Effets financiers attendus des risques et des opportunités
Les avis sur les deux options présentées dans le cadre d’évaluation des effets financiers attendus (ESRS 2 SBM-3 et E1-11) étaient partagés.
- L’option 1 exige la publication d’informations qualitatives et quantitatives, mais permet d’omettre certaines informations quantitatives sous certaines conditions. Elle est substantiellement alignée sur l’allègement IFRS, mais précise que l’entreprise peut y recourir lorsqu’il n’existe aucune information raisonnable et justifiable issue de ses plans d’affaires pouvant servir de base au calcul des effets financiers anticipés à long terme.
- L’option 2 limite l’exigence aux seules informations qualitatives et laisse les entreprises choisir de communiquer des informations qualitatives sur une base volontaire, sans avoir à remplir aucune condition.
Les entreprises optent, sans surprise, pour l’option 2, en précisant que l’information n’atteindra pas la qualité requise et pose des problèmes de responsabilité compte tenu des incertitudes du futur et des aspects de confidentialité. Combien même il y a des allègements, « on envoie le message que l’entreprise devrait pouvoir le faire ».
Les auditeurs et le marché financier opte pour l’option 1. « Il faut comprendre les risques et opportunités de l’entreprise, il faut disposer des éléments quantitatifs sur ces sujets, sinon les marchés vont fonctionner dans l’obscurité. Et il y a beaucoup d’allègement notamment le ‘sans coûts ou efforts excessifs’. Les effets financiers attendus sont de toute façon essentiels pour la matérialité financière et pour la connectivité avec les états financiers. »
Patrick de Cambourg conclu qu’on connait les difficultés, pour autant les vues sont partagées. L’exigence va pousser à la maturité, il faut pousser vers la maturité via l’effort. Il n’est pas bon pour la transparence et la fluidité des marchés de laisser cette information aux relations bilatérales (entres banques et entreprises, par exemple).
Un représentant a proposé de rendre l’information obligatoire pour les enjeux liés au climat, et optionnel pour les autres enjeux.
Sur les institutions financières
Patrick de Cambourg a précisé que le secteur financier a des spécificités très fortes. En absence de normes sectorielles – et il y a des secteurs qui en ont vraiment besoin – cela devient du « spécifique à l’entité » et il faut alors se coordonner dans la profession, ce qui n’est pas toujours évident.
Il y a notamment eu des discussions autour de la problématique de mesure des émissions GES en valeur absolue ou en intensité.
Un représentant a précisé qu’il est non-pertinent pour une banque de définir des objectifs de réduction (liés à la chaine de valeur) en valeur absolue « car ce sont justement les entreprises fortement émettrices aujourd’hui qui ont le plus besoin d’investissement – les banques ont pour vocation de financer tous les secteurs économiques, y compris ceux en transition ».
Il a été ajouté que la BCE – la banque centrale des pays de l’Union européenne utilisant l’euro – mesure en intensité.
Les indicateurs en intensité ont été supprimés dans la proposition de normes ESRS simplifiées.
Autres commentaires sur des métriques
Les métriques n’ont pas été évoqués en détail, mais il y a eu deux commentaires en fin de session :
- Ne pas avoir l’indicateur ajusté en matière de « gender pay gap » ne donne pas assez d’information
- et un « minimum wage » (salaire minimum) n’est pas nécessairement adéquate.
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